Voici un article que je vais publier dans l'Impact Campus du 15 janvier. Je me permet, avant que l'édition ne la charcute, de le publier sur mon blog et entier (dans ta face la censure! Non, j'exagère, ça ne sera sûrement pas censuré mais bon, je ne prendrai pas la chance...)Malgré qu’elle soit une démocratie libérale exemplaire à plusieurs niveaux, la Corée du Sud ne s’est jamais ouverte au phénomène de l’immigration permanente. En effet, cette contrée est-asiatique est réticente à intégrer ses quelques minorités issues de l’immigration. Plus étonnant encore, même les Coréens ayant émigré à l’étranger ne vivent pas toujours une réintégration aisée lors de leur retour sur la terre de leurs ancêtres.La très prochaine intronisation de Barack Obama crée actuellement une commotion au travers de l’occident. Car si, du Canada à l’Europe, tous semblent révérer cette nouvelle figure charismatique, plusieurs semblent aussi se poser la question suivante: Pourrions-nous, nous aussi, élire un citoyen provenant d'une minorité visible comme Président? Question qui renvoie nos démocraties face à leurs valeurs d’égalité entre citoyens. Si cette question semble tarauder les occidentaux, il ne faut pas croire pour autant que cette interrogation reçoive autant d’attention sur l’entièreté du globe.
Une réaction totalement différente, beaucoup plus frileuse face à l’immigration et l’intégration sociale et politique des minorités est d’ailleurs particulièrement visible en Asie du Nord-est. Selon Gérard Hervouet, spécialiste de l’Asie et professeur titulaire au Département de science politique de l’Université Laval, l’immigration au Japon ou en Corée du Sud ne peut être conçue que comme temporaire et directement reliée à un besoin provisoire de main-d’œuvre, «Ces pays utilisent la main d’œuvre étrangère sur le court-terme, encadrant très bien ces travailleurs étrangers mais n’envisageant pas leur intégration dans la société en dehors de ce cadre.» Il n’y a donc que peu ou pas de chemins menant à la citoyenneté ou même à la résidence permanente. Dans un tel cas, l’intégration politique des immigrants et donc des habituels minorités visibles qui en découlent, devient un sujet de second ordre. Toujours selon M. Hervouet, cette exception du Nord-est asiatique est particulièrement frappante lorsque l’on envisage le vieillissement accéléré que vivent les deux pays démocratiques de la région.
Une immigration particulièreLe cas de la Corée du Sud est particulièrement intéressant, car le refus d’intégration politique ou sociale des immigrants touche, au-delà des ouvriers Indonésiens, Philippins ou Nigérians travaillant dans les usines de Séoul, un groupe d’immigrants atypique: les Gyopos. Le terme Gyopo vient du coréen «haewae gyopo» et désigne un individu d’ethnicité coréenne étant né ou ayant vécu longtemps à l'extérieur du pays. Cette diaspora coréenne se dénombre par millions sur l’ensemble de la planète, mais aussi par centaines de milliers en Corée du Sud même. En effet, les Gyopos tendent, depuis les trente dernières années et le très grand essor économique, politique et social du pays, à revenir sur leur terre d’origine. Officiellement, l’État sud-coréen leur fait un traitement d’immigration spécial, dû à leur ethnicité, ce qui leur permet de revenir plus aisément au pays. Concrètement, la situation n’est pas si simple. Ces centaines de milliers d’immigrants venant de Chine, d’Asie centrale, de Russie et d’Occident reçoivent souvent une réception glaciale lorsqu’ils essayent de s’intégrer ou se réintégrer dans leur société d’accueil.
Difficultés d’intégrationZoya Kim est l’une de ces immigrantes. Cette Gyopo venant d’Ouzbékistan, mais vivant actuellement à Séoul, décida d‘étudier, grâce à des bourses sud-coréennes, puis travailler en Corée du Sud, il y a plus de cinq ans. La réalité de la non-intégration à la société d’accueil l’a cependant forcée à revoir ce qu’elle considérait, à la base, comme un rêve devenu réalité. Elle affirme d’ailleurs maintenant que les Coréens nés à l’étranger sont perçus, par la société d’accueil, comme une sous-classe de la population. «J’ai récemment réalisé que je ne serais jamais une "hanguk saram" (citoyenne de la péninsule coréenne) aux yeux de la population sud-coréenne, je resterai toujours une "gyopo". Ça me fait comprendre que certains d’entre eux me considérerons toujours comme venant d’une "classe" inférieure, d’une "qualité" plus basse que la leur.» C’est cette différentiation constante qui l’oblige maintenant à se résoudre au fait que, tant qu’elle vivra en Corée du Sud et malgré le fait qu’elle parle très bien le Coréen et qu’aucun indice physique ne puisse la démarquer de la majorité, jamais elle ne pourra être considérée comme Coréenne. Son nom et son accent la maintiendront toujours dans le statut de Gyopo.
Natalia Kang, aussi une Gyopo-Ouzbek résidant et travaillant depuis plusieurs années à Séoul, assure même que sa condition de Gyopo la force dans une situation de ségrégation face à l’ensemble de la population coréenne, née et ayant toujours résidée en Corée: «C’est vraiment dur de constamment se faire regarder ou même se faire insulter lorsqu’on parle russe dans le métro» ou encore «Mon employeur (un sud-coréen) m’a récemment dit, sur un ton léger et en me regardant dans les yeux, que jamais il n’accepterait que son fils marie une gyopo.» La complainte est généralisée dans les milieux des Gyopos ayant fait leurs retours de Chine ou d’ex-Union Soviétique : la ségrégation est évidente et présente à plusieurs niveaux, que ce soit pour l’emploi, les mariages, la position sociale mais aussi évidemment, la représentation au sein de la vie politique.
La situation n’est cependant pas exactement la même pour tous les Gyopos, certains s’en tirant mieux que d’autres. Selon Jean Young Lee, professeur à l’université Kyunghee, explique dans «Ethnic Korean migration in Northeast Asia» que la démarcation la plus évidente se situe entre les Gyopos venant d’Occident, qui sont perçus de façon relativement favorable par une société coréenne en soif de succès, et les autres Gyopos, venant pour la plupart d’Asie, habituellement beaucoup plus marginalisés. Une constante reste toute fois : le Gyopo demeure un étranger difficilement intégré dans cette société extrêmement homogène, ce qui en dit long sur les chances d’intégration d’un immigrant n’étant même pas d’ethnie coréenne.
S’il est très difficile de voir quelque changement que se soit avoir lieu dans les politiques d’immigration ou d’intégration des immigrants en Corée du Sud, une perspective d’avenir ne concevant aucun changement à ce niveau semble par contre clairement destructrice pour le pays. Selon l’Office National Statistique de Corée du Sud, le pays fait face à un vieillissement accéléré, l’âge médian étant passé de 18,7 à 36,7 ans au cours des 50 dernières années. Cela étant dû à un des plus bas taux de reproduction au monde (1,2 enfant par femme en 2008), à un haut taux d’avortement (près de 40% du total des grossesses) ainsi qu’à un débalancement générationnel entre la proportion d’hommes et de femmes (1,13 homme par femme). Un ensemble de facteurs qui indiquent une inéluctable pénurie de main d’œuvre, à laquelle une immigration réformée et plus ouverte pourrait servir de solution à moyen terme. Un changement de cap, en Corée du Sud, est-il à prévoir pour autant lors des prochaines années? L’affirmative étonnerait vraiment, toujours selon M. Hervouet, il serait improbable qu’un tel changement ait lieu en Corée du Sud ou au Japon, les barrières de l’homogénéité ainsi que de la haute concentration de ces populations étant trop grandes. De toute manière, l’intégration d’immigrants venant de l’étranger semble bien lointaine lorsque même les Gyopos sont constamment mis à la sellette.
Face à la situation des Gyopos, on conçoit rapidement que la quête d’intégration des immigrants, imparfaite mais tout de même si chère à l’Occident, ne fait pas écho sur l’ensemble de la planète. Peut-être continuera-t-on à se demander si nous aussi nous aurions pu élire un Obama, mais il est bon de se rappeler que pour certains, l’idée d’élire un afro-américain semble bien lointaine et que la question est plutôt de savoir si un jour, ils pourront élire un Gyopo…