La révolution ayant causé la chute de la dictature laïque qui contrôlait la Tunisie, depuis son indépendance, va sans aucun doute profondément transformer cette petite nation mais à quel changement peut-on s’attendre exactement? L’histoire nous présente trois cas probables: l’Algérie des années 90, l’Irak de 2003 ou encore la Turquie d’aujourd’hui. Voyons donc en quoi ces propositions semblent plausibles et quelles en seraient les différentes conséquences.La Tunisie vit actuellement une crise sans précédent. La Révolution des Jasmins, telle qu’elle semble avoir été nommée par la population du pays, a permis un résultat plus qu’inattendu. En effet, la mort d’un simple vendeur de rue et l’impact majeur que cet événement eut sur l’imaginaire collectif des tunisiens, permis à la population de se lever contre les puissants services de sécurité de la nation et en moins d’un mois, de jeter à la rue (enfin, peut-être pas à la rue mais certainement à l’extérieur du pays) la famille Ben Ali, qui contrôlait le pays depuis des décennies.
Si ce constat est actuellement incontestable, l’avenir à moyen et à long terme du pays semble moins évident à deviner. Dans le brouillard de l’instant présent, difficile de prévoir les multiples retournements que ce type de chaos politique aime nous imposer, nous pouvons toutefois jeter un coup d’œil sur les différents exemples que l’histoire nous propose. En effet, si aucune certitude n’est possible, l’histoire ainsi que les contextes; que cela soit au niveau régional ou culturel, peuvent nous donner des indices sur les scénarios possibles auxquels la Tunisie pourrait avoir à faire face. Voici les trois qui furent sélectionnés pour ce billet: l’Algérie des années 90, l’Irak de 2003 ou encore la Turquie de l’époque actuelle.
L’Algérie des années 90La première possibilité à envisager, dans la situation du chaos politique tunisien, est celle du plus grand voisin de ce pays: la transition (ou plutôt l’incapacité d’en arriver à une transition) de pouvoir ayant eue lieu en Algérie lors des années 90.
En effet, l’Algérie était alors dans une situation de « tentative » de transition démocratique. En 1992 le pays organisa des élections et ce fut l’opposition islamique (FIS) qui les gagna haut la main. Le pays se voulant laïc et le gouvernement étant très « attaché » au pouvoir, le résultat de l’élection fut finalement annulé et les islamiques, devant ce vol en plein jour, décidèrent de prendre le maquis et d’utiliser le force afin de faire plier la dictature.
Le reste de la décennie est plutôt floue et plusieurs pourront essayer de se repasser la patate chaude de la responsabilité sur la guerre civile qui suivit (1992-2002) mais un fait reste: entre 60 et 150 000 Algériens furent victimes du conflit et ce pays du Maghreb ressort maintenant à peine de ce très sombre passage.
Lorsqu’on compare la situation entre ces deux pays, on comprend bien que malgré des situations religieuse, culturelle et régionale similaires, le contexte entre ces deux situations politiques présente de multiples différences. Par exemple, même si ces deux pays partagent un héritage religieux commun, cela n’empêche pas que les efforts, de l’ancien gouvernement Ben Ali, afin de couper l’herbe sous le pied des islamistes, semblent avoir porté fruit. La Tunisie actuelle ne paraît pas être sur le point d’exploser sous l’impulsion d’une ébullition religieuse.
Autrement dit, si la population semble demander des droits, des emplois et de la démocratie, elle ne montre aucun signe d’ouvrir grande la porte aux meurtriers islamistes terrorisant la région. Que ce soit l’AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique), qui sont les descendants historiques des islamistes algériens ou tout autre groupuscule du genre. On peut donc parler d’une éventualité possible mais peu probable.
L’Irak circa 2003Après cette première éventualité peu réjouissante (surtout si elle se produit), venons en à la seconde envisagée dans ce billet ou, plus précisément, celle que la Tunisie se verrait imposer une situation similaire à celle de l’Irak circa 2003.
Le contexte irakien est évidemment infiniment complexe et pourrait impliquer de multiples conflits différents. Nous ne parlerons cependant pas ici du conflit religieux entre shiites et sunnites, ni des conflits interethniques entre Arabes et Kurdes et encore moins des tensions avec les forces étrangères occidentales mais plutôt des conflits entre un gouvernement de transition et les forces de l’ancien pouvoir (les Baathistes, dans le cas de l’Irak) refusant, par la violence, la transition leur ayant été imposée.
En effet, les anciens membres du parti de Saddam Hussein, refusèrent « énergiquement » (c’est le moins qu’on puisse dire) la chute de leur gouvernement et furent les premiers à s’opposer au gouvernement de transition ainsi qu’aux forces étrangères. La conséquence fut l’explosion de violence à laquelle le monde a assistée, particulièrement entre 2003 et 2005, avant que les islamistes ne prennent définitivement le relais.
En quoi cette situation est-elle potentiellement envisageable dans le cas de la Tunisie? Disons simplement que le régime de Ben Ali avait plus d’un point en commun avec celui de Hussein: gouvernement laïc, népotiste, usant facilement de répression et misant énormément sur les forces de sécurités (5% de la population totale du pays).
Peut-on vraiment croire que tous ces bourreaux, ces tortionnaires, ces petits amis du régime, ces administrateurs corrompus ou ces membres de la famille vont vraiment accepter de laisser le pays prendre son envol? Peut-on vraiment envisager que toutes ces canailles vont prendre le risque de laisser le gouvernement (et surtout les tribunaux) prendre le chemin de la démocratie et du « Rule of law »? Ils savent très bien qu’ils se feront éventuellement trainer devant les tribunaux et finiront irrémédiablement par croupir en prison (ou pire encore). Combien pari-t-on que certains préféreront utiliser la violence plutôt que de se laisser disparaître doucement et sans bruit…
D’ailleurs, cette violence a déjà débutée un peu partout en Tunisie lors des dernières semaines. Des hommes armés, déguisés, en civil ou littéralement des snipers, faisant régner la terreur sur leur passage. Voilà pourquoi la possibilité que la Tunisie vive une situation similaire à celle vécue par l’Irak circa 2003 est certainement envisageable. Reste à savoir combiens des amis de Ben Ali décideront de se battre, pendant combien de temps le feront-ils et si la population du pays arrivera à les évincer assez rapidement.
La Turquie actuelleComme on peut le remarquer, les deux premières possibilités envisagées dans ce billet sont loin d’être réjouissantes, ce qui ne les rend pas moins probables pour autant. La dernière éventualité proposée se voudra toutefois être plus porteuse d’espoir et c’est celle que je considère comme la plus vraisemblable. Nous parlons ici de la potentialité que la Tunisie en vienne à se transformer en l’équivalent de la Turquie actuelle.
Car si la violence est habituellement le fruit des révolutions, il est aussi possible que la transition du départ de Ben Ali se fasse sans trop de heurts, dans un esprit démocratique et que cela permette à la Tunisie de se transformer à l’exemple du joyau du monde musulman: la Turquie.
La Turquie est maintenant un pays démocratique, éduqué, soutenu par une économie de marché et somme toute assez libre. Le but n’est pas d’en faire un portrait ridiculement rose mais simplement de reconnaître que comparé à n’importe quel pays de l’Asie centrale, du moyen ou du proche orient, de la péninsule arabique, de la Corne de l’Afrique ou de l’Afrique du Nord, la Turquie est, de loin, la nation la plus développée de cet ensemble islamique.
Là où l’on peut espérer que la Tunisie suivra cet exemple, c’est que ce petit pays est relativement riche (deuxième PIB par habitant le plus élevé d’Afrique), est très éduqué (30% de la population possède une forme ou une autre d’éducation universitaire), est homogène (population musulmane sunnite et sans minorité ethnique importante), laïc et relativement libre de l’influence des réseaux islamiques qui pullulent habituellement dans le monde musulman (notamment grâce à la forte répression du gouvernement Ben Ali envers ces mêmes extrémistes).
Autrement dit, si un pays de cette région ou de cet ensemble culturel semblerait avoir une chance de suivre l’exemple de la Turquie, ce serait bien la Tunisie!
Enfin, l’avenir nous dira éventuellement de ce qu’il en est et si un des trois modèles, évoqués dans ce billet, s’appliquera finalement au cas Tunisien. Espérons par contre que, si l’avenir de ce pays du Maghreb suit en effet l’une de ces prédictions, ce sera le modèle Turque qui aura réussi à s’imposer.
À voir…